Dans une interview cinglante accordée au quotidien « L’Hirondelle »,
Anicet Georges Dologuélé, Chef de file de l’opposition centrafricaine,
donne son analyse sur la situation politique et l’insécurité qui prévaut dans son pays.
Selon Dologuélé, le Président Touadera serait un grand ami et complice des chefs de guerre étrangers.
Il parle élections, politique, sécurité. Suivons-le !
L’Hirondelle : L’ANE a lancé depuis peu les opérations d’enregistrement des électeurs sur les listes électorales, mais, force est de constater que les électeurs ne se précipitent pas pour se faire enrôler.
Ces opérations se confrontent à de nombreuses irrégularités. Il est fait le constat de faux actes de naissances remis à des sujets non-centrafricains dans le but d’étoffer les listes.
Pour vous en tant que chef de file de l’opposition, quel est votre point de vue à ce sujet ?
AGD : Votre question comporte deux volets : l’organisation des élections par l’ANE, et les irrégularités constatées.
S’agissant de l’organisation du recensement électoral, il ne vous a pas échappé que deux prolongations de la date butoir ont déjà été décidées, pour espérer enregistrer un peu plus d’électeurs à Bangui.
Lors des dernières élections générales, la ville de Bangui avait enregistré près de 300.000 électeurs, sur une population totale d’environ 700.000 habitants.
Avec l’insécurité dans 85% du territoire, beaucoup de centrafricains se sont réfugiés dans la capitale et nous évaluons la nouvelle population de Bangui à environs 1,2 millions d’habitants, ce qui donnerait un corps électoral d’au moins 500.000 personnes.
De ce fait, l’enrôlement dans la ville de Bangui ne pourrait pas être considéré comme une opération réussie si le corps électoral était inférieur à 400.000 personnes.
S’agissant des provinces, vous êtes certainement informés que des centaines d’agents tablettes ne peuvent toujours pas être opérationnels, soit parce qu’ils y sont empêchés par les groupes armés,
soit parce que les véhicules qui devaient leur faciliter les déplacements les ont abandonnés et sont revenus à Bangui,
l’ANE n’ayant signé des contrats de location que pour un nombre très limité de jours.
Pour vous citer un exemple, les agent-tablette affectés à Bocaranga, à Koui et à Ngaoundaye, soit 168 personnes, n’ont pas encore rejoint leurs centres d’affectation et campent dans la cour de la résidence du Préfet de Bouar, dans l’attente d’un véhicule pour les y conduire.
On signale également des nombreux cas de grève d’agents tablettes, essentiellement pour des raisons d’indemnités non payées.
La seconde partie de votre question concerne la fraudes, qui n’est plus un secret car devenue publique et qui se traduit par la délivrance de faux actes de naissance à des sujets congolais ou des mineurs centrafricains,
le déplacement des populations pour les faire enrôler dans plusieurs arrondissements ou plusieurs villes et des sessions d’enrôlement nocturnes.
Pour le moment, tous les témoignages n’identifient qu’un commanditaire unique de ces fraudes : le MCU. Pourquoi cela ne me surprend pas ?
Comment un parti au pouvoir peut-il organiser la déportation d’étrangers pour leur distribuer des faux actes de naissance, dans le but de gonfler artificiellement les listes électorales ?
Est-il si peu sûr de ses chances qu’il a besoin en béquille d’un électorat artificiel ?
Malheureusement pour nos amis du MCU, les populations se sont rendu compte que le parti au pouvoir était en train de traficoter leurs destins.
Elles ne se laisseront plus faire et ont déjà commencé à le faire savoir et le faire voir.
Justement, avant de progresser dans vos analyses, qu’est ce qui justifie selon vous ce faible engouement des électeurs pour l’enregistrement sur les listes électorales ?
AGD : Les électeurs se souviennent qu’ils avaient massivement voté en 2016, mais que les résultats annoncés n’étaient pas conformes à leur choix.
Ils pensaient tous sincèrement que ces élections allaient les sortir de la misère.
Elles les ont plutôt plongés dans une misère extrême, accompagnée de violences multiformes.
Tout cela décourage !
Et quand vous y ajoutez la très mauvaise organisation de l’ANE, l’insuffisance de sensibilisation et les fraudes à ciel ouvert,
l’électeur finit par développer le sentiment d’être le dindon de la farce.
Je souhaite sincèrement que les choses soient corrigées et, en tant que leader politique,
j’essaye de sensibiliser nos compatriotes pour qu’ils s’enrôlent massivement pour décider du choix de leurs dirigeants.
Vous êtes chef de file de l’opposition, que proposez-vous à cet effet pour du moins minorer ces « bavures » telles que constatées ?
AGD : Au niveau de la COD-2020, nous sommes soucieux du succès du processus électoral et essayons, à travers nos critiques et nos suggestions, d’aider l’ANE à corriger le tir.
Malheureusement, nous ne rencontrons que susceptibilité et fuite en avant, alors que le constat des manquements est public.
D’ailleurs, le dernier rapport du Secrétaire-général de l’ONU mentionne un retard de quatre mois dans le processus, retard qui ne peut que se creuser, du fait de la fréquence des pluies à travers tout le pays, qui contribuera à ralentir de manière sensible les opérations.
Le stade de l’examen des contentieux des listes était prévu pour le mois de mai, or nous ne sommes qu’au début des opérations d’enrôlement et nous sommes déjà au moins d’Aout.
La COD-2020 pense que la mise en place des 11 nouveaux commissaires est plus que jamais une urgence.
Curieusement, il n’y a pas que les retards ou les irrégularités qui entachent la mise en œuvre des opérations de l’ANE, il y a bien sur les préoccupantes questions sécuritaires, qu’en dites-vous ?
AGD : Il n’est secret pour personne que le président Touadéra entretient des relations de grande amitié et de grande complicité avec certains chefs de guerre de nationalité étrangère, qui sont les plus cruels et les plus prédateurs.
On a comme l’impression que ces derniers auraient reçu pour mission de rendre certaines parties de notre pays ingouvernables et infréquentables, notamment les régions du Nord-Ouest, du Nord-Est et du Sud-Est.
Comment expliquer que ce soit à la veille des élections que Abbass SIDIKI importe dans le conflit centrafricain des mines antichars et anti personnelles, ce qui est une première de toute l’histoire des crises militaires que le pays a connues.
L’objectif à terme, c’est d’empêcher les populations de l’Ouham-Pendé de jouir de leur droit de vote, n’étant pas un électorat favorable au pouvoir en place.
Les réactions ne cessent de tomber ces derniers jours au sujet de ces irrégularités accusées par l’ANE, dans le lot, le KNK réclame l’annulation des opérations de cartographie électorale ainsi que celles de l’enregistrement des électeurs, partagez-vous cet avis ?
AGD : le KNK fait partie de la COD-2020. A la suite de l’interview de certains chefs de quartiers par la Radio Ndèkè Luka, au cours desquelles ceux-ci ont dénoncé des trafics de faux actes de naissance,
cinq membres de la COD-2020 sont descendus sur le terrain afin de s’enquérir sur ces situations d’irrégularités.
L’indignation du KN K est une réaction logique face à l’ampleur des dysfonctionnements de l’ANE.
Vous évoquez la question de la cartographie électorale, mais je vous fais remarquer que celle-ci n’a jamais été rendue publique.
Mêmes les partis politiques, pourtant acteurs majeurs dans le processus électoral, en ont été privés.
Décidément, certaines personnes se comportent comme si elles souhaitent que ces élections se transforment en cauchemars.
Mais, Mr Dologuélé, pour vous en tant que chef de file de l’opposition, quel est aujourd’hui le niveau de discussion avec les partenaires internationaux face à ce tableau ainsi sombre présenté ?
AGD : Je conduis régulièrement une équipe de la COD-2020 pour rencontrer les partenaires internationaux.
Au cours de ces échanges, nous avons noté le sérieux avec lequel nos propos étaient enregistrés, car nous essayons de les dépassionner et nous mettons en avant la grande expérience de chacun d’entre nous.
En effet, la particularité de la COD-2020 est qu’elle est composée essentiellement d’anciens hauts responsables de l’Etat.
Anciens Président de la République, Président du Parlement, Premiers Ministres, Ministres d’Etat, Ministres, donc des hommes d’une grande expérience.
Nous avons toujours rappelé aux diplomates que si les délais légaux étaient impératifs, des élections bâclées comportaient des risques sérieux de dangers majeurs.
Certes, en tant qu’opposants nous voulons l’alternance, mais une alternance conquise à l’issue d’une élection propre.
En 2016, le candidat Anicet Georges Dologuele s’était précipité pour reconnaître les résultats d’un scrutin dont il avait pourtant dénoncé des fraudes massives.
Il croyait ainsi rendre service à son pays et apporter sa modeste contribution à la paix.
Devant l’ampleur du tsunami multiforme qui s’est abattu sur la RCA, beaucoup se demandent si ce n’est pas un cadeau empoisonné qui avait ainsi été offert au peuple centrafricain.
Pour finir, peut-on résumer que les élections de Décembre 2020 sont quasiment impossible et qu’il faudrait dès à présent envisager le consensus ?
AGD : Nous devons tous éviter la politique de l’autruche. L’ANE a connu plusieurs « accidents de parcours » et la principale victime de ces accidents sera notre démocratie.
Alors asseyons-nous et discutons ! Personne dans ce pays ne détient seul la vérité absolue.
Anicet Dologuélé, nous vous remercions
AGD : C’est moi !
Propos recueillis par Ben Wilson Ngassan, journaliste politique du quotidien « L’Hirondelle ».